Textes

MONTAGNES

Là-haut, après une marche de plusieurs heures, l’arrivée dans une autre temporalité bordée de hauteurs disparates. L’artiste fait d’abord une photographie, saisit l’atmosphère dans le cadre d’une impression choisie. À partir de celle-ci, dans le silence de l’atelier, Olivier Morel déclinera ensuite le même lieu sur des cahiers d’études ou d’essais avant de le peindre en petit puis en grand format. Rien de systématique si ce n’est souvent une répétition qui fait varier l’endroit en le reproduisant sur différents supports. De leur côté, les séries de montagnes numérotées et leurs coulées de couleurs juxtaposées, font surgir des différences d’une autre sorte. Herbe, arbres, terre, eau, lumière, les éléments naturels, sous l’effet de quelque étrange symbiose avec une autre matière et, en même temps, avec une autre manière, celle du geste de l’artiste, se font peinture et couleurs. Olivier Morel ne va pas seulement là-haut, sur les sommets du monde et leur éther solitaire. Son geste va aussi en deçà ou au-delà. Dans les zones inconscientes, secrètes ou cachées des éléments, de lui-même et de la perception.

Quelquefois, au moins une fois, les hauteurs cernent des miroirs liquides dans lesquelles se reflètent les monts. Ces étendues d’eau offrent alors des perspectives qui, au bord de la révélation d’optique, déconcertent les perceptions ordinaires. En glissant sur les arêtes de ces images aquatiques, les lignes se brisent et des géométries asymétriques font que dans l’envers du monde, il devient difficile de reconnaître l’endroit. Sixt 07 : le lac s’écoule comme à plat hors de la toile. Il devient soudain possible de deviner, dans les airs mais immobile le plan diagonal d’une eau tangible dont la présence invisible déborde le cadre, fait saillie hors de toute appartenance à quelque élément connu, matériel ou virtuel. Hors de toute vraisemblance aussi, dans l’intervalle entre soi et le tableau que jusque-là, nous aurions pu appeler vide.

Montagnes, lacs ou forêts apparaissent dans une candeur d’aube, de nuit ou de jour originels. Là, tout est calme et tranquille. Concentré, apaisé, le regardeur se sent tomber dans l’ailleurs d’une méditation proche d’une douce rêverie jusqu’à ce que, incertitude qui nous vient des rêves ou éveil subreptice, les sens bifurquent.

Six 57 : Forme étrange et fantomatique, un spectre blanc, peut-être celui d’un glacier, vient discrètement nous hanter à l’orée de la forêt. Il nous fait songer que l’eau des lacs aussi s’amenuise.

FORÊTS

À leur tour, les forêts ne montrent pas seulement la trace picturale et mnésique d’une apparition tout à la fois sobre et foisonnante. Dans leurs couleurs enchevêtrées et tissées, elles sèment aussi les souvenirs d’animaux qui s’y cachent et des enfants qui s’y perdent. À la surface du visible et dans ses profondeurs hypnotiques, les forêts témoignent d’une disparition passée ou à venir qui nous apprend que nous manque aussi tout ce que nous ne savons pas. À fleur de toile, l’inconnu d’une perte passée, présente ou à venir affleure. Et ça se perçoit. Dans ce labyrinthe mouvant-figé, là où nostalgie, vestige et espoir s’entremêlent, d’autres dimensions nous font revenir aux confluents de la création mais aussi de la destruction. Forêt 51 : ambiguïté, œil du cyclone, coïncidence picturale des opposés tenus en respect dans une forme d’harmonie troublante, la forêt rougeoyante inspire une sublimité discrète, tantôt d’un crépuscule serein, tantôt d’un incendie en cours. En plein cœur de méditations ou de rêveries apaisées, nous versons parfois d’un côté de l’autre, comme si quelque remous de la perception nous berçait et nous faisait tanguer, doucement, dans les interstices d’autres possibilités.

Bifurcation de la beauté, bonheur des textures vivantes et de leur matérialité colorée, ces forêts qui nous entraînent dans celles de toujours sont pourtant aménagées par l’humain. Elles exhibent aussi, à la fois montrés et cachés, les arbres tôt ou tard à abattre.

CABANES

Lieu de halte, d’hospitalité et de retrait, les cabanes évoquent ici celui qui habite le monde en poète, pour le dire comme Hölderlin, mais surtout en peintre. L’appel des montagnes ou des forêts se confond ici avec l’appel de la peinture qui résonne et consonne. Le rendez-vous s’opère à la croisée des chemins, là où le geste s’élance mais aussi s’oublie dans ce qui l’anime et le dépasse du temps et de l’espace.

Camille Fallen, philosophe et écrivaine – texte écrit à l’occasion de l’exposition Notes de ma cabane à la galerie Louis Gendre (2023)

PHOSPHORESCENCES

Comment quelques coups de pinceau miraculeusement placés peuvent-ils donner un tel sentiment d’apparition, de présence sur l’instant ? La touche d’Olivier Morel reste généralement apparente. Nous avons affaire à un calligraphe dont les traits rivalisent avec ceux des êtres, des paysages, des choses. Olivier Morel campe ces derniers tels qu’ils hantent déjà sa mémoire et tels que sa main les pense et les veut. Et soudain ils surgissent et font de nous des hallucinés. On n’en revient pas au sens propre. Car ce n’est pas notre monde familier qui se trouve ressuscité sur quelques centimètres carrés de toile ou de papier, mais quelque chose d’autre dont on ne sait de quel registre il relève prioritairement et s’il appartient à la surface ou bien aux profondeurs. Une simple pellicule d’être s’anime comme dans un miroir magique et nous jette soudain en effervescence. Quel statut donner à la res picta, à la chose telle qu’elle n’existe qu’en peinture ?
Force est de reconnaître que la peinture soustrait notre regard à sa passivité et sollicite un acte esthétique, c’est-à-dire un acte par lequel je décide de m’exposer moi-même au sensible pour l’approfondir et le retravailler : en saisir la spécificité. Je retrouve alors des gestes natifs et suis rendue à l’intensité suffocante d’une sorte de nouvelle venue au monde. Je fais de nouveau l’expérience de la déhiscence de l’être, de l’inadéquation de moi à moi-même, des fissures d’une l’identité présupposée, dont les marquages ne cessent de se transformer et d’induire ainsi en erreur.
La couleur est chose mystérieuse et difficile. L’un des risques d’une apparition vigoureuse est de faire criard ou chromo. Rien de tel chez Olivier Morel dont les œuvres expressionnistes, pleines de force et jouxtant parfois la caricature, produisent de nouveaux accords. Peu à peu l’entrée s’opère dans un ailleurs qui nous surplombe. Un visage nous dévisage, frémissant de vie. Plutôt que de couleurs, il faut parler ici de « phosphorescences ». La phosphorescence, est, en effet, « la propriété qu’ont certains corps de briller dans l’obscurité, sans qu’il y ait combustion, lorsqu’on les frotte, ou qu’on les chauffe ou qu’on les soumette à une décharge électrique », Et Émile Littré qui donne cette définition d’évoquer aussitôt avec Buffon les diamants et les pierres précieuses qui brillent dans les ténèbres. Songeons aux Fragments d’un paradis de Giono qui s’ouvrent sur la découverte d’animalcules innommés, d’à peine un centimètre d’épaisseur et trois ou quatre de longueur  ; ils arborent des reflets d’opale et brusquement s’empourprent en déployant dans leur transformation un arsenal de « couleurs nouvelles » qui n’ont « de nom dans aucune langue ». Des luisances et des irisations, le déploiement d’un arc-en-ciel de la nuit, la succession de feux d’artifice…
Les phosphorescences s’accompagnent de coulées fécondantes dans différentes directions. La sève des arbres monte à des hauteurs vertigineuses, jusqu’à 60 mètres par heure, dit-on. Ne semble-t-elle pas l’équivalent pour les végétaux du sang chez les animaux ? La circulation est continue. L’œuvre d’Olivier Morel pose avec une intensité sans cesse accrue la question de ce qui fait pour nous la vie, Quel est le principe vital qui anime les animaux et les végétaux ? L’élément fondamental est-il l’air, le feu, l’eau ou la terre ? Aussi bien l’idée de cette exposition est-elle de rendre compte de la présence des quatre éléments pour montrer le caractère souverain de la forêt, souvent prise à mi-corps, sans insistance sur le faîte des arbres ou sur leurs racines.
D’un bestiaire fantastique nous nous dirigerons donc vers des végétaux phosphorescents. Mais nous étudierons au passage l’étrange chiasme entre des nuages qui deviennent flammes et les flammes qui semblent consumer leur cage. Et nous nous attacherons à une certaine figuration des montagnes qui pourrait commander le passage de l’image au signe. Le caractère chinois, fait de trois monticules ayant chacun la forme renversée de la lettre « v », domine d’ailleurs.

I. Un bestiaire fantastique
Regardons les cinq rascasses. La sûreté du trait, jeté sans reprise, et l’intensité des phosphorescences frappent d’emblée. Du noir seul, puis du noir auquel s’additionne le rouge, enfin le noir et le rouge pénétrés de rose. Ici la gueule s’ouvre, là les nageoires se déploient et, finalement, l’être et la figure fusionnent.
Cinq crabes, impressionnants avec leurs regards féroces, exploitent les cinq points cardinaux, le cinquième étant le centre selon les Chinois. Gare aux dangereuses embrassades, gare aux bras armés de pinces ! Des coulures bleues rappellent, cependant, le travail de l’artiste et empêchent l’hallucination de prendre complètement corps.
Qu’ils remplissent donc bien l’espace, les trois caïmans baroques, aux écailles d’or, de saphir et d’argent ! La gueule du caïman du bas s’ouvre déjà, alors que son congénère du haut redresse son avant-corps. Quant au crocodile unique, peint en blanc sur fond noir, il rampe vers les bas-fonds, en suivant la diagonale descendante, de la droite vers la gauche, et en allongeant une mâchoire qui n’en finit pas.
La pieuvre évoque les dessins et les descriptions de Victor Hugo dans Les travailleurs de la mer. Elle glisse, telle une loque, une masse poussiéreuse, mais soudain s’ouvre comme un parapluie : « Huit rayons s’écartent brusquement autour d’une face qui a deux yeux ». Tant qu’on n’a pas rencontré ce regard, on ne sait rien du monstre. Il y a la pieuvre noire et la pieuvre violette, celle qui habite le coin droit du tableau et celle qui habite le coin gauche. Toutes deux étalent largement leurs tentacules vibrants, armés de ventouses ou de suçoirs qui menacent du plus abominable supplice. « Au-delà du terrible, être mangé vivant, il y a l’inexprimable, être bu vivant », écrit Hugo.

II. Nuages enflammés et flammes volantes
Rarement, sauf peut-être dans certains ciels africains et chez quelques Constable, on voit des nuages aussi crépusculaires et phosphorescents. Des nuages portés par l’orage ou par la nuit, dont Novalis vante les teintes spécifiques : « Tout ce qui nous enthousiasme, la couleur de la nuit ne le porte-t-elle pas ? » Bleu marine, violet et rouge, un vaste cumulo-stratus se lance à travers la toile sur la totalité de sa diagonale, tout gonflé de puissance. D’autres nuages aux formes pleines investissent l’espace en s’y calant sur la droite ou bien en dessinant une arche au-dessus d’un monticule d’or, sur un ciel moelleux peint comme un plaid écossais bleu et violet.
Les nuages de Morel empruntent au feu son flamboiement; et, par un chiasme saisissant, son feu se déplace comme un nuage hors du poêle qui le garde. Impossibles à contenir, les flammes détruisent leur support ; et l’incendie se propage dans une nuit dont le violet tourne à l’orangé en se mêlant à l’or.

III. Montagnes elliptiques : vers l’écriture
On est frappé de l’importance qu’Olivier Morel attache aux soulèvements telluriques et du soin dont il fait preuve dans ses relevés topographiques : les plans sont nettement marqués et les horizons internes s’enchaînent de façon suggestive. Contact, trace, tracé, signe… Comment est-on passé de l’art pariétal quelques dizaines de milliers avant notre ère à l’invention de l’écriture autour de 3.400 avant J.-C.? Quel rôle ont joué les pictogrammes à côté des phonogrammes et des idéogrammes ? La série des montagnes peintes en blanc sur un fond noir illustre une genèse possible du signe scripturaire à partir de pictogrammes et de tracés abstraits. On comprend comment la couleur vient en premier et modifie sans cesse la donne : l’allure générale devient plus iconique et moins abstraite.
Il y a, de surcroît, trois intéressantes « maisons dans la montagne », partiellement démolies, mais laissant « trans-apparaître » leur structure. La blancheur phosphorescente du bois gagne le sol.

IV. La forêt souveraine : phosphorescences végétales
Mais le triomphe de la phosphorescence s’accomplit dans la forêt. On pressent la force d’un souvenir d’enfance et la pureté d’une expérience qui remonte au fond des âges. Olivier Morel nous donne quelques indications. La voiture de ses parents s’arrête près d’Orléans et du village de Boiscommun, en pleine forêt. Les phares font étinceler le premier plan. Et, pendant que les adultes vont remplir des bouteilles d’eau à la fontaine Fischer, l’enfant reste en arrière, regardant les arbres automnaux déjà défeuillés, admirant leurs troncs verticaux et translucides qui jaillissent, verts pâles, dorés ou parfois multicolores, du fond des ténèbres mystérieuses. Le temps est suspendu.
Je ne sais s’il faut commencer par les dessins ou par les peintures. Car on les comprend les uns par les autres ; et on se dit qu’ils ont des vocations complémentaires : le dessin abstrait et quintessencie ; le peinture masque et enrichit. Couleur vient du latin celare qui signifie « cacher ». Olivier Morel nous donne la chance de pouvoir comparer sur des thèmes similaires les avantages de chaque voie. Il y a plusieurs dessins qui unissent magistralement le noir et le mauve sur un fond blanc de manière à accentuer le contraste que forme le sol tourmenté et mouvant avec les troncs noirs, lisses et droits. Les plans sont très marqués et le feuillage semble parfois un simple prétexte à l’invention d’une forme nouvelle d’écriture aux boucles successives.
Les tableaux que je préfère sont ceux où les arbres apparaissent comme des colonnes translucides, avec ou sans branches, peu feuillus, recueillis en eux-mêmes, offrant leurs lumières à celle des phares qui ne percent que partiellement le mystère de la forêt.
Donation réservée, initiation.

Baldine Saint Girons (Philosophe et écrivain d’art, (Université de Paris Ouest et Institut universitaire de France) – Mars 2021

Huit

Le point de départ ou, si vous préférez, l’inspiration d’Olivier Morel vient de ses voyages – Japon, Inde, peu importe – avec les images rapportées de ses périples. L’artiste est sur le-qui-vive ; l’appareil photographique à la main, il guette le hasard heureux, où la vitesse combinée à l’observation cristallisera un moment de la vie.

1001 nuits, artiste Olivier Morel - Huit (Colas), acrylique/toile, 114 x 146 cm, 2011
Olivier Morel – Huit (Colas), acrylique/toile, 114 x 146 cm, 2011 [Fondation Colas]

Cette captation fulgurante du présent n’est pas guidée par une recherche de pittoresque. Il se passe juste quelque chose que l’artiste saisit. La photographie en fixe le contour mais Olivier Morel lui donnera sa forme, plus tard, dans l’atelier. Huit est né de ce retour sur image, où le peintre se confronte aux visions hallucinées de la route vue à travers les vitres de la voiture.

Isabelle Cahn (Conservateur général des peintures au musée d’Orsay) – Avril 2011
Catalogue de la Fondation Colas – nouvelles acquisitions 2011

Le peintre-archer – Esprit du Iai hier et aujourd’hui

Le Iai Jutsu, l’art de dégainer le sabre dans l’art martial japonais, faisait partie de l’éducation classique du samurai. Le Iai vu comme une voie de recherche pour l’élévation spirituelle ou Iai Do, peut être le travail d’une vie pour produire le geste parfait. L’intention se projette dans l’action au-delà de la cible ; le geste est unique comme un instantané, pensé et réalisé d’un trait, la trajectoire du katana est fixée dès que le mouvement est amorcé, pur et irréparable à la fois. L’esprit du Iai est identique à celui du Kyu Jutsu, l’art du tir à l’arc japonais, que pratiquent les archers à cheval du Yabusame chers à l’œuvre d’Olivier Morel, et dont le rituel persiste dans le Japon moderne. Ce qui semble être de prime abord un artefact anachronique demeurerait-il un enseignement riche d’intérêt aujourd’hui?

Olivier Morel, Peinture-cible, artiste, Japon
Peinture-cible, acrylique/toile, 130 x 195 cm, 2010

Dans l’histoire japonaise, les barrières entre domaines devaient s’effacer car ces guerriers devaient maîtriser plusieurs arts à la fois : équitation dans des conditions extrêmes et précision ultime à l’art réunis, attention de tous les instants…mais aussi une éducation intellectuelle et artistique attestant d’un grand raffinement: calligraphie, littérature, musique… Pendant les lumières européennes ou déjà pendant le grand siècle, un gentilhomme pratiquait également des arts aussi divers que l’escrime, l’équitation, la danse ou la pratique de la musique baroque. Une vision globalisée de l’homme réunissant ses pôles apparemment opposés.

Les arts européens peuvent aussi être pratiqués en transposant les mêmes principes universels de non dualité, de complétude de l’individu multi-expert, et de recherche du geste ultime selon l’esprit du Iai. Tous s’y prêtent pourvu qu’on veuille y faire vivre les mêmes principes d’universalité. Joachim Forget pratique ainsi l’Art de Toucher le Clavecin, comme l’appelait le maître François Couperin, en l’enrichissant de principes et techniques d’art martial du Japon médiéval ou de la Chine Millénaire : posture, intention, concepts zen ou encore taoïstes.

Ce que nous offre le présent, c’est la richesse d’unifier le meilleur des sagesses d’hier et des horizons éloignés en apparence. En musique ou sur une toile, l’esprit du Iai peut survivre à son temps révolu. Instruments d’hier ou techniques d’aujourd’hui, les mêmes principes vivent. La nature est une est indivisible, comme l’artiste et son œuvre, l’homme et son environnement. L’homme créateur imite la nature. Quand le regard est porté sur tout et sur rien à la fois, l’horizon s’ouvre et la cible devient transparente, car le regard juste est celui qui porté sur la montagne lointaine : Enzan no Metsuke.

Joachim Son Forget – 28 janvier 2016
Concert de clavecin solo par Joachim Forget  &  exposition d’Olivier Morel Le peintre-archer, Galerie Red Zone, Genève

ENGLISH VERSION

The Painter Arrowman – Iai spirit, yesterday and now

Iai Jutsu, the art of drawing the sword in the Japanese martial art, was part of the classical education of the samurai. Considered as a way to search for spiritual elevation or Iai Do, it may be the work of a lifetime to reach the perfect gesture. The intention is projected into the action beyond the target, the gesture is unique as a snapshot, thought and drawn as a line, as the trajectory of the katana is defined as soon as the movement is initiated, pure and irreparable also. The spirit of Iai is identical to Kyu Jutsu, the art of Japanese archery bow practiced by the archers of Yabusame seized by the artist Olivier Morel, whose ritual still continues confidentially in modern Japan. What seems like an anachronistic artefact might remain a rich teaching interest today?

In Japanese history, the barriers between fields had to be dismissed as the Warriors had to master many arts at once: riding in extreme conditions and ultimate precision archery at the same time, divided spatial attention… but also an intellectual and artistic education of refined achievement including calligraphy, literature and music. During the European enlightenment or already during the 17th century, a gentleman had also to practice arts as diverse as fencing, riding, dance or instrumental practice of Baroque music. A globalized vision of the humanity bringing his seemingly opposite poles.

European arts can also be performed by transposing the same universal principles of non-dualism, completeness of the multi-expert individuals and research of the ultimate gesture in the spirit of Iai. It is valid for all kind of arts if there is the intention to make them live through those principles of universality. Joachim Forget practices the Art of Touching the Harpsichord, as nicknamed by the master François Couperin, enriched by the principles and techniques of Asian martial arts: posture, intention, or even Zen and Taoist concepts.

What our time gives us is the unique opportunity to unify the best philosophies of yesterday and seemingly distant horizons. In music or painting, the spirit of Iai can survive its bygone era. Instruments of yesterday or today techniques, the same principles are alive. Nature is one and indivisible, as the artist and his creation, the man and his environment. The inventor imitates nature. When we gaze at everything and nothing at the same time, the horizon opens and the target becomes transparent, because the good eye focuses on the distant mountain, what Japanese call Enzan no Metsuke.

Joachim Son Forget – 28 janvier 2016
Harpsichord solo concert & exhibition of Olivier Morel The Painter Arrowman, Red Zone Art Gallery, Geneva

Les traits d’un «peintre archer»
Olivier Morel expose à Genève

Franches et contrastées, les couleurs vous sautent au visage, d’autant plus qu’elles sont appliquées avec vigueur, ce qui donne une impression générale de dynamisme et, du moins dans un premier temps, de joie. Dessinateur, graveur et peintre, et écrivain à ses heures, l’artiste français Olivier Morel s’inspire volontiers de ses voyages en Asie, dont l’intéresse la philosophie, fondée sur l’énergie ou Qi.

La série présentée à la galerie genevoise Red Zone se base sur des photographies ramenées de séjours répétés au Japon. Les évocations de la vie quotidienne, une jeune fille aux cheveux auburn tenant un stand au marché aux puces, les massifs et arbustes en fleurs, camélias, pêchers, se résolvant, tels qu’on les regarde depuis un véhicule en mouvement, en épaisses traces roses, des ponts traditionnellement peints en rouge livrant passage à des camions bleu vif, des paysages citadins, avec leurs enseignes lumineuses – tout concourt à créer une ambiance forte.

Univers semi-fantastique

Cette ambiance à son tour, du fait de la présence d’éléments insolites, tend vers un univers semi-fantastique, où des méduses vous tombent sur la tête et où devant un petit temple, dans la rue, une passante sous son parapluie bleu ciel se protège de la Pluie divine. L’idée étant, suite aux événements de Fukushima et au passage du cyclone Washi, sur l’île de Mindanao, que le peintre a traités par ailleurs, qu’une grave menace plane sur le monde tel que nous le connaissons.

C’est pourquoi la gaieté presque forcée de ces peintures à la couleur acrylique acquiert, selon la volonté d’Olivier Morel qui médite soigneusement ses toiles en apparence improvisées, une résonance plus grave, une nouvelle profondeur. Pour en revenir au sujet des méduses, celles-ci, dans la partie supérieure de la composition, semblent pleuvoir à leur tour – pluie divine – sur un groupe d’alpinistes parvenus épuisés au sommet, et qui semblent fascinés par le gouffre qui les entoure de toutes parts.

Laurence Chauvy – Le Temps, Genève, publié le 29 mars 2013
Olivier Morel, Le peintre archer , Galerie Red Zone, Genève
https://www.letemps.ch/culture/traits-dun-peintre-archer